Exhumé : Le Scénario Abandonné de Dune par Ridley Scott
"Réaliser une mauvaise adaptation de Dune serait trop simple..." – Ridley Scott, South Bend Tribune, 1979
Cette semaine marque le 40e anniversaire du Dune de David Lynch. Initialement un échec au box-office avec 40 millions de dollars, le film a construit une base de fans dévoués au cours des quatre dernières décennies depuis sa sortie le 14 décembre 1984, offrant une opposition visuelle marquée à l'ambitieuse version en deux parties de Denis Villeneuve du roman acclamé de Frank Herbert. L'excentrique Lynch fut officiellement choisi pour diriger Dune par le puissant producteur Dino De Laurentiis en mai 1981, juste après le départ de Ridley Scott, réalisateur de Blade Runner et Gladiator.
Peu d'informations ont filtré sur l'adaptation à laquelle Scott a consacré sept ou huit mois pour De Laurentiis avant que Lynch ne prenne le relais... jusqu'à aujourd'hui. Grâce au travail de T.D. Nguyen, un brouillon de 133 pages datant d'octobre 1980 du projet abandonné de Scott, écrit par Rudy Wurlitzer (Two-Lane Blacktop, Walker), a émergé de la collection Coleman Luck au Wheaton College et est parvenu à cet auteur.
Lorsque Scott a rejoint le projet après le triomphe d'Alien en 1979, Frank Herbert avait déjà livré un scénario volumineux en deux parties, fidèle à l'œuvre originale mais jugé impossible à filmer, comme l'ont détaillé Wired et Inverse. Scott a examiné ce brouillon et identifié environ sept scènes à sauver, mais a finalement engagé Wurlitzer pour une refonte complète depuis Londres, tandis que la pré-production débutait aux Pinewood Studios. Tout comme Herbert et plus tard Villeneuve, cette version était conçue comme le premier chapitre d'un diptyque.
"Le projet Dune fut l'un de mes défis les plus ardus", a confié Wurlitzer à Prevue Magazine en 1984. "Le structurer a demandé plus d'efforts que l'écriture finale. Nous avons respecté l'essence du livre tout en l'affinant. Nous y avons insufflé une nouvelle perspective."
"Nous avons produit un script, et il est sacrément solide", a déclaré Scott à Total Film en 2021.
Le Dune de Ridley Scott a échoué pour diverses raisons : le deuil de son frère Frank, son aversion pour le tournage au Mexique (insisté par De Laurentiis), un budget dépassant 50 millions de dollars, et Blade Runner de Filmways paraissant plus prometteur pour le réalisateur en devenir. Un facteur clé fut le manque d'enthousiasme universel pour le script de Wurlitzer, comme l'a révélé l'exécutif de Universal Pictures Thom Mount dans le livre A Masterpiece in Disarray – David Lynch's Dune.
La version de Wurlitzer était-elle trop sombre ou politiquement chargée pour un succès grand public ? Plongez dans notre analyse approfondie pour vous faire votre propre opinion.
Rudy Wurlitzer (aujourd'hui âgé de 87 ans) a été approché pour cet article mais n'a pas pu participer. Ridley Scott a également été contacté mais a choisi de rester silencieux.
Une vision plus intense de Paul
Le brouillon d'octobre 1980 s'ouvre sur une séquence onirique de sables brûlants où des dérives pâles se transforment en forces impitoyables ravageant les galaxies. Dès le début, le destin ominieux de Paul est pressenti. Les images de Scott superposent souvent des profondeurs visuelles saisissantes, et des lignes comme "les oiseaux et les insectes spiralent dans un chaos frénétique" portent une dynamique que seul un visionnaire comme lui pouvait convoquer. Cette intensité parcourt chaque page.

Comme Scott l'a expliqué à Total Film : "Nous avons livré une interprétation forte de Dune, car à cette époque, je collaborais intensément avec le scénariste. J'intégrais toujours l'esthétique du film dans ses mots."
Cette vision culmine dans un désert plongeant dans l'ombre, apparaissant dans les rêves de Paul Atreides, qui se réveille alors que la pluie d'orage frappe les vitres du Château Caladan. Mais Paul n'est pas un Timothée Chalamet charmeur... c'est un garçon de 7 ans aux cheveux blonds fluides, confronté à l'épreuve de "la boîte" par la Révérende Mère. Sa récitation de la Litanie contre la Peur s'entrelace avec les murmures de Jessica (suggérant leur lien mental). Comme dans le film de Lynch, on aperçoit une main carbonisée, la peau se détachant des os... mais ce n'est qu'illusion.
Survivant à cette épreuve de volonté, le jeune Paul se rend dans une autre aile du château, ordonnant à un garde, par La Voix, de lui remettre une lame, puis manque de tuer Duncan Idaho endormi pour tester si "un vrai combattant se repose jamais vraiment." Ce Paul incarne une pureté brute et sauvage.
"Le Paul de Rudy Wurlitzer est bien plus audacieux", note Stephen Scarlata, producteur du documentaire Jodorowsky's Dune. "Il prend directement le contrôle. On voit son évolution de 7 à 21 ans, où des entraînements rigoureux le surpassent même Duncan Idaho. Cependant, je préfère le Paul de Lynch. L'incertitude quant à sa capacité à battre Gurney, pour finalement échouer, crée du suspense. Cette fragilité renforce notre inquiétude pour lui, surtout lors de sa fuite avec Jessica."
DUNCAN
C'est le devoir d'un enseignant que son
élève le surpasse un jour.
(souriant)
Mais ne pense pas pouvoir te reposer. Ceci
n'est qu'un niveau atteint.
D'autres méthodes, plus périlleuses,
restent à maîtriser. Mais pas maintenant.
Maintenant, nous allons nous enivrer comme il se doit.
Le règne persistant de l'Empereur
Nous passons à un jardin de pierres au-delà du château, où Jessica traverse un pont en plein jour. Cela déclenche un changement crucial, comme l'a décrit le scénariste Ian Fried, connu pour Spectral de Legendary et une mise à jour avortée de L'Île du docteur Moreau.
"J'adore le moment où Jessica observe le gardien disposant des pierres pâles en motifs", a partagé Fried avec IGN. "Puis la pluie tombe soudain, et le gardien s'agenouille, déclarant : 'L'Empereur est mort.' Cela me glace. Pourtant, cela n'est pas dans le roman. Avec tant d'éléments dans Dune, en ajouter de nouveaux pourrait ne pas correspondre aux attentes du public. Ce fut un choix captivant—la mort de l'Empereur déclenchant toute la chaîne."
Nous voyageons vers "le Royaume Intérieur de l'Empereur" (non nommé Kaitain), niché parmi "un cercle de Pics Enneigés entourant un Mandala, ou Cercle Mystique, enfermant trois barrières carrées concentriques—au cœur, une lueur dorée." Les dirigeants des Vingt-Quatre Maisons Majeures se réunissent pour pleurer l'Empereur tandis que des pulsations lumineuses dansent au-dessus de son bûcher, prêtes à transporter son Essence Sacrée. Le mysticisme s'intensifie lorsque l'ancien souverain, via un Voyant aux orbites vides, accorde au Duc Leto Atreides la planète Dune/Arrakis pour repousser les ombres cosmiques.
Ces ombres se manifestent par le Baron Harkonnen, qui (via Feyd-Rautha) propose un partage des opérations d'épice d'Arrakis pour éviter les conflits. Le Duc refuse. Un écho frappant avec la réplique culte du Baron dans Dune '84 : "Celui qui contrôle l'épice contrôle l'univers"...
BARON
(à DR. YUEH)
Comprenez bien la situation
avant de partir. Qui contrôle
Dune contrôle l'Épice, et
qui contrôle l'Épice contrôle
l'Univers. Sans moi, votre
Duc ne contrôle rien.
Autre parallèle avec le film de Lynch : le départ des Atreides de Caladan via un Vaisseau Guildien. Nous y voyons un Navigateur—altéré par l'épice, non révélé dans les livres avant Le Messie de Dune—apparaissant comme "une FORME allongée, vaguement humaine avec des orteils et des paumes palmés, flottant dans une coque transparente ; une créature dérivant dans un océan étranger aux yeux d'un Bleu Pur." Le Navigateur avale une capsule, sombre en transe, et trace la route du Vaisseau via des mélodies évoquant Prometheus (2012) de Scott.
Le clan atteint Arrakis. Les descriptions de la forteresse Arakéenne des Atreides—aux halls ténébreux et grands foyers—rappellent l'ambiance de Legend (1985) de Scott. L'approche médiévale prédomine, soulignant lames, traditions seigneuriales et loyauté. Des figures semblables à celles de Bosch moissonnent la rosée dans les jardins du palais. Ce style féodal cadre avec le projet "Tristan", "L'Épée" ou "Le Chevalier" que Scott développait alors pour Paramount.
À un poste climatique, Liet Kynes présente sa fille Chani au Duc et à Paul. Des spécimens disséqués illustrent l'écologie, Kynes notant que l'extraction d'épice "dévasté tout sans rien restaurer." Le Duc s'enquiert de rétablir l'harmonie. Chani les accompagne en Ornithoptère à travers les étendues, échangeant des regards rares avec son père. Leur vol près des cheminées fumantes d'un vaisseau-usine rappelle les paysages infernaux de Blade Runner. Attaqué par un ver, Kynes et Chani choisissent de parcourir les sables seuls, libérant des places pour les derniers ouvriers.
Shadout Mapes, l'aide domestique—dotée étrangement de trois seins, préfigurant Total Recall—offre un cryst-couteau à Dame Jessica. Celle-ci surprend ensuite des locaux assoiffés implorant de l'eau.
Les rues d'Arakeen ressemblent à des taudis misérables, avec marchands indigents, transports délabrés, familles fuyant le soleil, et ossements alignés. Les divisions sociales éclatent lorsqu'une foule se rue sur de l'eau renversée, une scène inspirée par La Bataille d'Alger (1966) de Pontecorvo.
Une séquence ajoutée montre Paul et Duncan poursuivant un agent Harkonnen jusqu'à un bazar, déclenchant une rixe typique des années 80. Duncan brandit une hache à la Conan. Paul achève un ennemi d'une frappe à la gorge.
DUNCAN saisit la hache.
DUNCAN
(l'examinant)
Sale petit outil.
Mal équilibré, mais ça fera l'affaire.
D'un mouvement vif, il la lance sur un HOMME MASSIF
approchant avec une barre de fer. La hache le frappe en pleine poitrine, le fendant en deux.
"Cela évoque une bagarre de saloon façon Burt Reynolds", observe Scarlata. "Ce combat diminue les enjeux en rendant Paul trop invincible trop tôt. Son arc repose sur sa progression—survivre, s'adapter, commander. S'il vainc trop facilement, la tension s'effrite."
Cette mêlée introduit Stilgar, chef Fremen inflexible, vêtu d'une robe aux gestes sans concession. Paul et Duncan le suivent jusqu'à un repaire de contrebande, où les Fremen décapitent le dernier Harkonnen...
Réflexions finales

Le message central de Frank Herbert dans Dune mettait en garde contre les dangers des sauveurs charismatiques. Alors que Lynch a négligé cette nuance, Villeneuve l'a placée au cœur de son diptyque, comme confirmé à cet auteur en mars. Le brouillon de Wurlitzer d'octobre 1980, bien qu'incomplet, dépeint un Paul plus sombre—non un noble hésitant, mais un jeune déterminé à régner. Alliés comme Chani et Kynes soutiennent son ascension pour leurs desseins écologistes.
Ce script audacieux, né à l'aube du cinéma SF moderne post-Star Wars et Alien, aurait pu offrir une épopée subversive axée sur l'exploitation environnementale. Comme Scott le déclara en 1979 : "La SF a longtemps stagné, mais les romans attirent des foules immenses. Dune a vendu 10 millions d'exemplaires."
Le script resserre les liens clés visuellement : Kynes est avec Chani dès le début, le Duc et le Baron s'affrontent directement. La mort de l'Empereur, et non ses manigances, précipite le chaos—logique, étant donné son rôle mineur (noté dans Dune : Part Two avec Christopher Walken). Des choix comme supprimer Gurney et Rabban pour approfondir Kynes sont judicieux.
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